Estaires-La Gorgue de 1900 à 1930D'après G. Lefebvre, militant syndical |
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2 - La grande guerreLa mobilisation |
La MobilisationDans l’après-midi du 31 juillet, l’on vit apparaître les affiches de Mobilisation Générale pour le 2 août. Cette fois, c’était la guerre et le peuple, dans son patriotisme, y souscrivit aveuglement.
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Le 1er août permit aux mobilisés de faire leurs adieux à leurs familles et le 2, la plupart des réservistes, accompagnés de la musique d’Estaires qui jouait le "Chant du Départ", se rendirent à la gare où toute la population des 2 villes était rassemblée pour faire les adieux. Et le train de 7h30 s’ébranla sur les slogans "À Berlin", chacun espérant retrouver ses foyers au bout de quelques semaines. Hélas, la guerre prit une tournure inattendue. Après les revers de nos forces en Belgique, nos armées furent contraintes à la retraite jusqu’à la Marne. La région du Nord était en partie envahie et le resta souvent jusqu’à la fin de la guerre. De nombreux réfugiés traversèrent nos régions et s’y établirent, espérant trouver du travail dans nos usines de textile. Estaires occupée 5 joursAprès la victoire française sur la Marne (septembre 1914), eut lieu la course à la mer et bientôt nos 2 villes se trouvèrent mêlées à cette guerre de mouvement. Le 9 octobre, les troupes allemandes occupèrent nos villes. Peu de soldats français pour faire face et l’ennemi put avancer vers Hazebrouck. Mais après avoir occupé Merville, ils furent stoppés 2 km plus loin (une borne y indique l’avancée maximum des Allemands). Les troupes anglaises fraîchement débarquées furent les premières à se ruer sur l’ennemi qui dut faire retraite par la route de La Bassée après avoir fait sauter les ponts sur la Lys. L’occupation n’avait duré que 5 jours. Les troupes anglaises, la 8ème division commandée par le Prince de Galles, s’installèrent dans nos murs avec leur Quartier Général au Château Marsy. On s'installe dans la guerrePeu à peu, avec l’afflux des soldats britanniques, nos villes prirent un essor florissant. Les cafés faisaient de bonnes affaires et certains habitants débrouillards firent des frites dont les Tommies se régalaient, le soir. Ayant des soldes élevées, ils pouvaient faire de folles dépenses. Nos concitoyens, peu à peu, s’adaptèrent à cette nouvelle vie, au milieu de toutes ces troupes. Chacun s’efforçait de comprendre leur langue avec un effort particulier de la part du sexe féminin. Les Allemands s’étaient retirés jusqu’au Mont de Prémesques ce qui permit à nos usines de textile de fonctionner. Celles-ci trouvèrent facilement de la main d’œuvre pour produire des toiles pour nos armées. A signaler, vers la mi-novembre, une prise d’armes, rue de la Meuse en présence du Président Poincaré, de Georges V, du Maréchal Joffre et du Maréchal Douglas Haig. Beaucoup de curieux pour voir de tels personnages. L’année 1914 s’achevait. Déjà de nombreux morts dans nos 2 communes mais chacun conservait bon moral et la foi dans la victoire de nos armées. En décembre, ce fut le départ de la classe 1915 ce qui causa des vides dans notre jeunesse. Noël 1914, ce fut le premier réveillon que nos alliés importèrent dans nos régions, une tradition qui resta dans nos mœurs. La dinde fit son apparition dans les menus, un plat encore bien rare dans la petite bourgeoisie et encore bien plus dans la classe ouvrière qui arrivait péniblement à joindre les deux bouts. Avec la guerre, les denrées devinrent plus rares et le coût de la vie devint inquiétant. Heureusement, l’arrivée des troupes alliées bien pourvues en ravitaillement, permit d’aider nos populations car pour les troupes anglaises rien ne manquait : conserves de viande, confiture, sucre, rhum, tabac et surtout les cigarettes recherchées par les fumeurs de chez nous. L’an 1914 se termina dans l’insouciance : les usines tournaient à fond, le commerce s’efforçait de satisfaire une nouvelle clientèle qui disposait de beaucoup d’argent, les cafés faisaient des affaires malgré l’ouverture de 18h à 20h, des débrouillards s’étaient installés en marchands de frites. Chacun s’installait dans la guerre.
En 1915, beaucoup de soldats sont hébergés chez les habitants et leur apportent souvent un complément de nourriture ou de vêtements. Les tissages, malgré la proximité du front, travaillent à plein. La main d’œuvre masculine devenant plus rare, c’est le personnel féminin qui fait 10 heures par jour sans récriminer. Les plus de 40 ans sont rappelés car les industries travaillant pour la défense nationale ont besoin de main d’œuvre. Peu à peu, le pays se vide. En avril 1915, c’est le départ des jeunes de la classe 16. Ils sont alors dirigés vers le centre de la France où nos régiments du Nord ont créé des centres d’instruction. C'est là que nos jeunes recrues profitent de quelques mois de formation avant leur envoi vers le front. Les contingents deviennent de plus en plus importants car l’on prépare une attaque sur Neuve Chapelle avec les Indiens et les Ecossais. Celle-ci échoue devant les troupes allemandes bien fortifiées sur les pentes d’Aubers. Hélas, les troupes ont subi de lourdes pertes et 2 cimetières sont créés à La Gorgue et à Estaires pour accueillir leurs morts. Après cette hécatombe, le front redevient plus calme. Les troupes indiennes doivent quitter la région, le climat étant trop rigoureux pour eux et sont remplacées par des Canadiens et des Australiens. L’année s’écoule sans grand événement dans le secteur. Chacun conserve la foi dans le succès de nos armées qui peuvent fêter Noël dans la joie.
En 1916, les troupes anglaises commencent à renforcer leur dispositif de défense. Elles font appel aux civils et créent le "Labour Corps". Ces concitoyens partent le matin vers le front et creusent des tranchées ou des abris souterrains. Ils furent plusieurs fois pris sous des bombardements qui ne firent, heureusement aucune victime. La lutte est longue est douloureuse et, chaque jour, des familles éplorées apprennent le décès d’un être cher. C’est le 21 janvier que les troupes allemandes lancent sur Verdun une formidable offensive. D’abord bousculées, nos troupes redressent la situation et, au prix de pertes immenses, stoppent l’ennemi. Chez nous, avec l’afflux des troupes, il fallut songer à l’hygiène car les soldats descendant du front étaient pleins de vermine. Les Anglais créèrent donc des buanderies dans la blanchisserie Pétillon et Honnart. Après une douche bienfaisante, les soldats touchaient du linge propre et désinfecté et la vermine disparut peu à peu. Des mois passent, des combats sanglants ont lieu dans la Somme pour soulager le front de Verdun mais rien de positif n’est obtenu et déjà il faut songer à une nouvelle campagne d’hiver. Dans la boue des tranchées, sous un froid rigoureux, il fallait être jeune et robuste pour résister à tant de misère. L’année s’achève dans l’espoir que 1917 verra la fin de ce long cauchemar et le retour dans nos foyers de tous ceux qui nous sont chers.
L’année 1917 verra une succession de bonnes et mauvaises nouvelles : - l’offensive française est lancée le 16 avril mais au bout de quelques jours, il faut stopper l’attaque devant les pertes énormes et la révolte des régiments qui refusent de monter en ligne - en Russie, les Bolchevicks s’emparent du pouvoir et négocient, avec les Allemands, une paix séparée. - heureusement, un événement heureux vient compenser ces tristes nouvelles. Le 9 avril 17, la grande nation Américaine entre en guerre à nos côtés. Sa formidable puissance économique sera déterminante. Chez nous, en avril 1917, les troupes anglaises attaquent la crête de Vimy et obtiennent quelques succès chèrement payés d’ailleurs. Le 16 avril voit le départ de la classe 18 qui va bientôt rejoindre ses aînées sur le Front. Le même mois, arrivent dans nos villes de nouveaux combattants. Les troupes portugaises viennent y cantonner et apportent aux Anglais un renfort appréciable. Pour le moment, le front est calme ce qui leur permettra de s’aguerrir. En juillet, le secteur qui était calme depuis longtemps commence à se réveiller. Les Allemands ont apporté des pièces d’artillerie à longue portée et commencent à bombarder. La gare est atteinte et bien qu'il y ait peu de victimes, cet évènement joue sur le moral et, peu à peu, des familles entières, craignant le danger, quittent le pays. Les premiers réfugiés ont trouvé facilement du travail, particulièrement en Normandie où il existe beaucoup de tissage. Sur leurs conseils, l’exode s’amplifie. Devant le danger croissant, nos usines commencent à déménager matériel et matières premières vers des centres textiles à l’abri de la guerre. Et 1917 se termine dans l’inquiétude, particulièrement pour ceux qui sont restés, malgré tout, rivés au sol natal.
L’année 1918 commence dans l’angoisse. L’issue de la guerre demeure incertaine. Les Allemands, pressés d’en finir avant la montée en puissance de l’armée américaine, se préparent pour leur grande offensive. Comme prévu, elle a lieu le 21 mars sur la Picardie. Britanniques et Français subissent de grandes pertes et doivent reculer vers l’Oise. La situation devient critique. Sur notre secteur, chacun s'attendait au pire. La destruction d'Estaires et l'exodeLe 9 avril, les troupes allemandes attaquent tout le front des Flandres. Les troupes portugaises peu aguerries sont vite décimées et refluent en désordre. Les Allemands avancent sans rencontrer de résistance et, dès le 9, occupent nos localités. Que devenait la population estairoise ? Celle-ci, n’ayant eu que le temps de prendre quelques vêtements, était partie en désordre vers Neuf-Berquin, ensuite vers Ebblinghem où des trains furent mis à leur disposition pour les évacuer vers des régions plus clémentes. Pour nos pauvres gens, l’exode allait commencer, soit en Bretagne, soit dans le centre de la France où ils furent accueillis et aidés. A la Gorgue, moins atteinte, beaucoup d’habitants s’étaient abrités dans les caves, et furent stupéfaits, à leur sortie de se trouver entourés d’Allemands. Ceux-ci les regroupèrent et les dirigèrent vers la Belgique. Par la suite, le front se stabilisa entre Merville et Hazebrouck et
il fallut attendre la mi-août pour voir refluer les Allemands. Nos
localités étaient dégagées mais Estaires n’était plus que ruines tandis
que La Gorgue avait moins souffert. |