Estaires-La Gorgue de 1900 à 1930

D'après G. Lefebvre, militant syndical


3 - 1919-1930

Les premiers retours
La reconstruction
Les luttes syndicales

 

Les premiers retours

Dès l’Armistice, ceux qui s’étaient réfugiés en Belgique ou dans les environs font leur rentrée dans les ruines.

Rien à trouver pour la nourriture, malgré cela, chacun s’efforce de s’adapter face à cette situation difficile.


Les troupes anglaises et portugaises qui stationnent aident au mieux les premiers arrivants. A La Gorgue, en décembre, 2 cafés sont ouverts : "A la Ville d’Hazebrouck" et "A St Louis".

Peu à peu, on voit venir ceux qui se sont réfugiés très loin. Ils viennent voir s’ils peuvent rentrer bientôt avec leur famille, mais pour beaucoup, c’est la déception.

L’année 1919 commence à apporter un peu d’activités dans nos 2 communes. Quelques commerçants s’installent dans les ruines. Peu à peu la vie renaît et les premiers mois de l’année voient le retour de beaucoup de nos compatriotes, heureux de se retrouver au pays et de revoir parents et amis.

L’activité reste faible. Les hommes valides sont occupés à remplir les tranchées et à effacer les traces de la guerre. Les fermiers, avec des engins rudimentaires, remettent en état les champs et pratiquent les premières semailles.

Pour l’industrie textile, il faut réparer les bâtiments et surtout retrouver du matériel car les Allemands ont tout raflé le cuivre en général pour les besoins de la guerre.

Pour le ravitaillement, les communes ont ouvert un bureau d’aide où chacun, selon l’importance de sa famille, obtient les denrées nécessaires à sa subsistance (sucre, matières grasses, légumes secs ...).

Pour faire face aux logements détruits, l’on installe dans tous les coins, des baraquements.

Certes, beaucoup de soucis encore : le froid, l’absence de lumière ... mais l’espoir renaît de vivre heureux comme autrefois.

Avec l’année 1920, le cauchemar de la guerre est déjà loin et bien que chaque foyer ait à pleurer l’un des siens, la vie renaît.

Le tissage Hacot est le premier en activité, suivi de plusieurs autres en fin d’année, les ouvriers tout heureux de retrouver leur ancien emploi et la franche camaraderie des ateliers.

Les sociétés locales essaient de renaître. En septembre, c’est la première ducasse d’Estaires sur la place Montmorency où quelques musiciens donnent un air de fête. Les bals apportent à la jeunesse une vie nouvelle.

Mais voilà à nouveau l’hiver et le froid des baraquements insuffisamment chauffés.

Quelques éléments portugais qui séjournaient encore à la Gorgue, nous quittent à leur tour.

L’année 1921 apporte un essor de plus. Les tissages reprennent vie. Beaucoup de ceux qui travaillaient dans les entreprises de construction ont rejoint leur ancienne profession plus lucrative, située à proximité de leur foyer et bénéficiant, maintenant de la semaine anglaise, soit 48 heures par semaine.

Le Syndicat Textile a repris son activité. Les réunions se tiennent dans un baraquement sur le terrain de la Coopérative, quai du rivage à Estaires.

Reconstruction

En 1922, commence la reconstruction des nouvelles habitations. De nouvelles rues plus larges ont été tracées et la place agrandie mais cela demandera de longues années pour qu’Estaires retrouve un véritable plan d’urbanisme.

A La Gorgue qui avait beaucoup moins souffert, les dégâts furent vite réparés, de plus de nouveaux logements sont construits ce qui embellit la commune.

Les luttes syndicales

En juin, un seul tissage n’avait pas encore repris son activité à cause d’un désaccord avec le Syndicat. Cette firme voulait mettre en œuvre des métiers multiples. Après une entrevue à Lille, le Syndicat maintint sa position et refusa les propositions patronales. L’usine fut donc obligée de remettre le tissage en activité en utilisant les anciens métiers mécaniques. Le point de vue syndical était de sauvegarder du travail pour la main d’œuvre locales.

Début mars 1923, le patronat revint de nouveau à la charge avec le désir de faire conduire 2 larges métiers sans apprentis. Cela privait les jeunes d’apprentissage. Les pourparlers furent rompus et la grève générale fut votée. Cela englobait 1500 ouvriers (tisseurs et cadres). Le syndicat s’organisa pour aider les ouvriers car cette grève dura 2 longs mois où chacun resta sur ses positions. Enfin, le travail reprit, le côté patronal ayant fait un effort en faveur des familles nombreuses. Il alloua 25 F par mois pour chaque enfant, ce fut l’embryon des Allocations Familiales.

Certes, cette longue période d’inactivité fit tort au commerce local, nos régions n’ayant que le textile pour se développer. Peu à peu, la vie renaît, laissant beaucoup de rancœur dans la classe laborieuse. Malgré ces déboires , un groupe d’ouvriers se réunit pour faire renaître la Coopérative Boulangerie de la Gorgue-Estaires.

Possédant un vaste terrain, rue du quai et grâce à un fond de caisse assez important, on fit l’acquisition d’un dommage de guerre qui permit de faire construire cette boulangerie avec salle de vente mais il fallut de longs mois pour obtenir un résultat positif avec l’espoir d’ouverture vers juillet 1924.

Peu à peu, les ruines disparaissent, la reconstruction démarre, d’importantes entreprises s’installent dans le pays et, à Estaires, la ville prend un visage neuf.

En 1924, la vie nationale reprend ses droits. Les groupes politiques s’organisent en vue des élections législatives qui eurent lieu en mai. Ce fut le succès du cartel de gauche mais notre région toujours réactionnaire élut un député de droite. De même, notre canton élut M. Loucheur comme conseiller général.

Comme prévu, la Coopérative-Boulangerie se remit en marche mi-juillet grâce au concours bénévole des copains qui y mettaient toute leur énergie pour réussir. Le départ ne fut pas facile. Il fallait se créer une clientèle fidèle. Notre joie fut grande de constater notre dévouement récompensé et les résultats atteints par cette poignée de pionniers.

Mais des nuages apparaissent : les prix montent, la monnaie s’effrite, le cartel de gauche n’a pas réussi au gouvernement. La droite revient. Raymond Poincaré forme un gouvernement de salut public et la première mesure prise fut la dévaluation du franc de 20%. Après cette dure épreuve, le pays reprit confiance.

En juillet 26, une grande fête de gymnastique a lieu, organisée par la Jeanne d’Arc. Plus de 50 sociétés défilèrent en ville et environ 8000 gymnastes évoluèrent dans la pâture Coupet. Les cafetiers espéraient réaliser ample recette, mais pour beaucoup ce fut une amère déception.

Nous atteignons 1927, année peu fertile en événements. Certes, une grève, dans le textile qui dura de longues semaines. L’on y scandait "Nous voulons les six francs ! ", six francs d’augmentation par jour !

Ce fut également une période d’activité des Coopérateurs. Après accord avec "Les Coopérateurs de Flandre", la fusion avec cette société fut conclue et le 1er juillet s’ouvrait le "Magasin Coop", rue du Rivage.

Le commerce local maugréa un peu, mais il lui fallut, bon gré, mal gré, faire face à cette nouvelle situation.

La reconstruction continue et, peu à peu, on retrouve nos rues anciennes plus larges ce qui permet à "Maria" de circuler plus librement.

Et nous voilà en 1928, année importante avec les élections législatives de mai. Les organisateurs de nos région donnent le maximum mais le résultat n’est guère brillant pour les classes laborieuses car c’est le retour en force de la droite avec une majorité confortable qui n’apportera guère de réformes pour les Français.

Malgré ces déboires, les organisations syndicales mènent une intense propagande pour obtenir la Sécurité Sociale. Certains syndicats prennent position contre mais, peu à peu, l’idée fait son chemin.

Quant à l’industrie locale, elle commence à subir les effets du chômage qui s’amplifie dans toutes les catégories industrielles.

L’année 1929 voit les usines ralentir leur activité. Pour y pallier, les syndicats et toute la gauche préconisent la réduction des heures de travail et songent aux 40 heures mais il faudra attendre encore bien des années pour l’obtenir.

L’année 1930 apportera aux travailleurs une amélioration sensible : le Parlement vote la loi sur la Sécurité Sociale. Le 1er juillet est mise en route cette importante réforme qui concerne tous les salariés. Ceux-ci verseront 6%, comme le patronat.

Il se crée alors différentes caisses telle que "La famille", "Le travail" ... mais la mise en route fut assez difficile.

Les années suivantes, d’autres luttes allaient avoir lieu mais ceci est une autre histoire.