
|
César Jourdin
Lauréat des Rosati de
Flandre deux premiers prix d'histoire locale
ESSAI HISTORIQUE
SUR ESTAIRES
en Flandre Maritime, aux confins du pays d'Alleu
|
Dans son inventaire des Archives communales d'Estaires antérieures à 1790 (Lille, imp.
Danel, igoz),
M. Finot, archiviste en chef du Département du Nord, écrit :
Lors
d'une contestation qui s'était élevée en 1606 entre les villes de
Bailleul et d'Estaires, les échevins de cette dernière localité
produisirent de nombreux titres dont la teneur fut résumée dans un
mémoire destiné à prouver : 1° que la ville d'Estaires est une ville du pays de Flandre,
privilégiée, ayant plusieurs droits, franchises et libertés ; 2° que c'est une ville fermée de portes, entourée de fossés, ayant
chaussées en dehors et bornées de bornes marquées aux armes de la
ville 3° qu'elle a deux places publiques pour les marchés avec halle,
maison de ville, bretèche, cloche et wigneron (petite cloche sonnant
la fermeture des cabarets), chambre secrète (prison), consistoire
pour les plaids ordinaires et généraux, vulgairement dits
"franches vérités ", ensemble toutes sortes de mesures
pour la bière, les vins, grains, draps, toiles, bois, avec un poids
public mesures de poids propres et particulier à ladite ville 4° qu'elle a un marché hebdomadaire et une franche foire annuelle ; 5° qu'elle a aussi un hôpital public dans la ville pour les pauvres
étrangers et une maladrerie pour les lépreux ; 6° trois confréries privilégiées qui ont chefs, officiers et
franchises, privilèges et libertés comme les autres confréries des
autres villes de Flandre 7° un franc-métier de porteurs de sacs ayant doyen, assistants
assermentés, etc. |
M. Finot ajoute :
Nous
avons tenu à reproduire in extenso cet extrait des titres des archives
communales d'Estaires, car il donne, dans un langage du temps, une
description très exacte de cette petite ville de Flandre, sur les
confins de l'Artois et parce qu'il la ressuscite en quelque sorte à nos
yeux pour nous la présenter telle qu'elle était il y a trois siècles,
avec ses institutions communales et religieuses, ses établissements
charitables, sa vie commerciale et industrielle.
Il n'est pas étonnant qu'une telle ville, ayant joui au moyen-âge
d'une certaine importance, ait conservé en grande partie les papiers et
documents attestant sa vie locale d'autrefois comme des témoins
fidèles venant, pour ainsi dire, la raconter. |
Hélas ! ces
archives si anciennes si soigneusement rangées et conservées n'existent plus.
La guerre, l'implacable guerre de 1914.-1918, les a dispersées ou anéanties.
Dans son rapport de l'année 1930 sur les Archives Communales l'archiviste en
chef du Nord s'exprime ainsi au sujet d'Estaires :
Les
archives anciennes ont été anéanties le 9 avril 1918 dans la cave où
on avait cru les mettre en sûreté. Elles comptaient 657 articles de
1428 à l'an II (1794) d'après l'inventaire sommaire publié en 1902
par De Cleene. Les archives modernes ont subi le même sort : l'inventaire dressé en
1843 indique que les délibérations municipales étaient complètes en
1789. Elles ne remontent plus qu'à 1919, sauf l'état civil
reconstitué depuis 1838 par le greffe. |
Pour comble de
malheur, nous devons ajouter que les archives reconstituées à partir de 1919
jusque 1939 ont également disparu au cours de la guerre 1939-1945 au moment de
l'exode (juin 1940.
C'est, dans
notre modeste sphère, pour remédier à ces désastres que nous nous sommes
imposé le soin de réunir, de compiler les textes épars dans nombre de
publications disparates, et d'en tirer, pour une grande part la " Petite
histoire " que nous offrons à nos concitoyens et plus généralement à
tous ceux qui, en Flandre et ailleurs (et ils sont nombreux), s'intéressent aux
vieilles coutumes et aux antiques cités.
LES ORIGINES
Un des peuples de
l'ancienne Gaule était les Morins, qui habitaient les bords de la mer du Nord
et une partie des provinces de Flandre et d'Artois.
Lors de la conquête de
la Gaule par les Romains, César et ses légions trouvèrent, parmi les Morins,
des résistances qui prouvaient leur courage et leur amour de l'indépendance.
Les Romains occupèrent la Gaule pendant environ cinq siècles, puis ce fut le
tour des Barbares (peuples étrangers à la civilisation romaine ou grecque et
originaires surtout d'Allemagne et de l'Europe centrale), les Francs entre
autres, qui, peu à peu, étendirent leur domination sur tout ce qui devait un
jour s'appeler la France.
A cette époque, la
localité dénommée aujourd'hui Estaires s'appelait Minariacum, sur la Lys,
point où la voie romaine, venant de Cassel par Caëstre, se partage en trois
tronçons : le premier sur Wervick ; le second, sur Tournai, par Lille ; le
troisième sur Cambrai et l'Artois, par La Bassée et Lens.
On suppose qu'après la
bataille gagnée sur Attila (451), Aëtius, général romain, s'arrêta aux
bords de la Lys, ce qui expliquerait le nom d'Eti Terra d'où viendrait
Estaires. Toutefois, cela n'est qu'une hypothèse, car dans une bulle du pape
Étienne, en 766, Estaires est nommée en langue latine " Stegras ",
qui semble offrir une meilleure étymologie que la précédente et qui se
rapproche davantage de la dénomination " Stegers " que l'on trouve
parfois sur certaines cartes géographiques anciennes, en particulier les cartes
portant les noms flamands.
Les peuples morins et
autres des bords de la Lys adoraient Mercure (dieu du commerce) lorsque parut
saint Waast, qui, après avoir instruit Clovis en vue de son baptême par saint
Rémi (496), s'en vint évangéliser nos contrées comme évêque d'Arras (500),
puis de Cambrai (510).
Toutefois, on note que
les premières prédications chrétiennes eurent lieu à Estaires vers l'an 285
par les saints Piat, Victorien et Fuscien, ainsi que par saint Victrice en l'an
404, et, vers 505, par saint Antimond.
Quoi qu'il en soit de
ces débuts, saint Waast, qui avait élevé un oratoire sur les bords de la Lys,
peut, à bon droit, être considéré comme le premier apôtre de notre
contrée.
C'est ce qu'ont
d'ailleurs si bien compris nos pères qui lui ont consacré maintes églises :
Estaires, Bailleul, Armentières, La Bassée, Arras, etc. pour n'en citer que
quelques-unes.
Vers l'an 605, saint
Amand prêche la foi chrétienne à Estaires et on le voit, en l'an 610, se
rendant de cette ville à La Bassée par le " grand chemin ", qui,
aujourd'hui encore, a conservé son appellation.
Dès 765, un cartulaire
de l'abbaye de saint Waast à Arras cite parmi les " villas " que
cette abbaye possède Stagras (Estaires), Saliacum (Sailly-sur-la-Lys),
Armentiaras (Armentières).
Vers l'an 880, les
Normands, peuplade nordique qui, périodiquement, descendait piller nos
contrées, détruisent la ville de Minariacum (Estaires)
H. R. Duthilleul,
Bibliothécaire de la ville de Douai, dans son livre Petites histoires du pays
de Flandre et d'Artois écrit : "Le nom d'Estaires dérive du celtique
Steer (rivière que l'on peut passer à gué) et que les Romains ont rendu par
Minariacum, qui signifie en latin Minor Acqua " eau moindre, endroit où
l'eau est peu profonde, et nommé Steghers en flamand." Cette
explication nous paraît acceptable et assez probante.
H.R. Duthilleul, déjà
cité, dit que l'Assemblée du Conseil Royal de Verberie, en 869, déclara
Estaires affecté à la nourriture des religieux de l'abbaye de Saint-Waast
d'Arras. - Un diplôme de Charles le Chauve de 867 l'avait précédemment
établi et confirmation en fut faite par une bulle du pape Jean VIII du 28
décembre 879.
De son côté, Victor Derode, l'éminent historien de Lille, situe l'existence d'Estaires en 648, dans
les toutes premières localités de Flandre avec Cassel, Gravelines et Loon.
Merville, voisine
d'Estaires, n'apparaît que vers 684 (Bulletin du comité flamand). D'après
Arnould Detournay, cette destruction d'Estaires par les Normands vers 880
expliquerait pourquoi cette localité n'est plus citée ni dans les titres ni
dans les chroniques jusqu'au XXIIe siècle.
On ne possède guère
de renseignements offrant de sérieux caractères d'authenticité sur l'histoire
du pays pendant la période qui précéda l'an mil et les croisades.
On note simplement
qu'en 1096 le seigneur ou comte d'Estaires part à la croisade pour la
délivrance de Jérusalem et des lieux saints.
D'une façon,
générale, on peut dire que jusqu'à la Révolution française la ville
d'Estaires a été successivement placée sous la juridiction de l'abbaye de
Saint-Waast d'Arras, représentée par les avoués " de Béthune ",
par la famille des Stavèle et par celle des Montmorency Robecq, cette dernière
de 1604 à la Révolution (1789).
LA GORGUE
Nous ouvrirons
ici une parenthèse pour dire un mot de la ville sœur d'Estaires, La Gorgue,
dont la destinée s'est d'ailleurs bien souvent confondue avec celle de la
première, dont elle est issue. Après la destruction d'Estaires par les
Normands une partie de ses habitants, qui avaient fui l'invasion, seraient venus
se fixer au confluent de la Lys et de la Lawe et auraient donné ainsi son
origine à La Gorgue.
En effet,
petit à petit, Estaires s'était agrandie et s'étendait depuis le pont
d'Estaires, à la jonction de la Meterenbecque avec la Lys, jusqu'au confluent
de celle-ci avec la Lawe, en amont, de sorte que des habitations s'étaient
élevées de part et d'autre de la rivière principale, la Lys.
Mais, ce n'est
qu'en 1190 que Robert, seigneur de Béthune, et Jean, évêque de Thérouanne,
par le conseil de Guillaume, cardinal-archevêque de Reims, partagent la
paroisse en deux : Estaires et La Gorgue.
Le chapelain
de la Gorgue, dépendant de l'abbaye de Beaupré, reçoit en partage avec
l'église d'Estaires les droits de mouture et de pêche. (Gorgue, en latin Gorgo,
Gorgus : clôtures de pieux, clayes ou osiers, faites dans une rivière pour
prendre le poisson).
Le seigneur ou
comte d'Estaires présente le curé, le jour de la dédicace de l'église (d'où
est venu par corruption le mot ducasse) ; le curé de la Gorgue paie 12 deniers
à celui d'Estaires, accord qui ne sera exécuté qu'après la mort de
Simon-Richard Gomer, alors curé d'Estaires
La Gorgue fut
brûlée en 1340 par les Flamands et en 1347 par les Français lors du siège de
Calais.
En 1393 ses
habitants furent autorisés à fabriquer toutes sortes de draps comme ceux
d'Estaires et de marquer les dits draps aux armes du comte (Louis de Mâles).
Pendant longtemps La Gorgue fut considérée comme la capitale du pays d'Alleu
et un commerce important de draps et de toiles s'y faisait en particulier le
jour de la foire dite de la Mayolle, le premier lundi de mai.
- Pendant la
Révolution une Société Populaire très active exerça une certaine influence
sur les associations similaires des localités voisines, jugées sans doute trop
tièdes à l'égard du nouveau régime. |
Les deux
villes sœurs, dont les intérêts sont d'ailleurs identiques, ont toujours
vécu en bonne intelligence, de sorte que, depuis surtout l'établissement du
chemin de fer, l'habitude est souvent prise de dénommer " La
Gorgue-Estaires " l'importante agglomération de près de 10 000 habitants
que forment les deux communes de part et d'autre de la Lys et que trois ponts
relient entre elles. Pour sa part, La Gorgue compte 4116 habitants d'après le
recensement de 1954.
Cette
sympathie, dirons-nous naturelle, se manifeste notamment par le concours que les
sociétés locales : musiques, pompiers, orphéons, gymnastique etc. se prêtent
mutuellement dans l'organisation des fêtes et réjouissances publiques ou
autres.
LA FÉODALITE, LE
MOYEN-AGE
Chacun sait que la
féodalité est le système des lois et coutumes de droit seigneurial qui a
régi la France (et d'autres pays) pendant plus de huit siècles.
En abordant cette
période de la féodalité peut-être n'est-il pas superflu pour la
compréhension des événements qui vont suivre de rappeler sommairement quels
étaient les us et coutumes qui constituaient le régime féodal.
A l'origine, les fiefs
étaient des concessions de terres faites ordinairement par le souverain aux
membres de sa famille (apanages), aux grands de sa cour, à ses vaillants
capitaines, etc., à certaines conditions dont les principales étaient :
- l'hommage
ou reconnaissance de vassalité ;
-
le service militaire, par lequel le vassal s'engageait à
lever des hommes d'armes pour une période déterminée et qu'il mettait à la
disposition de son suzerain ;
- le service des plaids, c'est-à-dire l'administration de la
justice et, en outre, quelques redevances pécuniaires, tel le droit de
relief, lorsqu'il y avait changement de titulaire du fief, soit par héritage,
soit par acquisition agréée, car, même en cas de décès du titulaire, son
héritier devenait censément un nouveau concessionnaire, qui, après avoir
rendu hommage à son suzerain, s'engageait aux mêmes charges et obligations,
et acquittait le droit de relief.
Il arriva que les
grands vassaux, dont les fiefs, domaines ou apanages étaient parfois
considérables, en établirent eux-mêmes que, sous le nom d'arrière-fiefs, ils
concédèrent à d'autres personnes à des conditions de même nature. C'est
ainsi que se constituèrent, au début, les différents degrés de la noblesse :
ducs, marquis, comtes, barons, chevaliers etc., dont les titulaires opéraient
comme leur suzerain, partageant leurs terres ou bénéfices et déléguant leurs
pouvoirs à leurs vassaux.
On arrivait de la sorte
à ce que dans les villes, et surtout dans les campagnes (car les villes, sous
forme de communes, surent bientôt s'émanciper de leur autorité), le pouvoir
public était détenu par des baillis, lieutenants, prévosts, mayeurs,
échevins, etc., qui étaient, en fait, des seigneurs au petit pied, plus ou
moins contrôlés.
Il est évident qu'un
tel système de gouvernement était générateur d'abus, car la puissance
publique, ainsi diluée, parvenait dans une infinité de mains, dont le moins
que l'on puisse dire est qu'elles n'étaient pas toutes d'une intégrité
absolue.
Ce mode de gouvernement
fut donc celui qui régit la France (avec des formules parfois diverses suivant
les provinces et même les localités) du IXe siècle à la fin du moyen-âge,
c'est-à-dire jusqu'au milieu du XVe siècle, époque à partir de laquelle
l'autorité royale s'y substitua peu à peu laissant toutefois subsister
certaines pratiques et coutumes et surtout certains impôts issus de la
féodalité.
Toutefois en ce
qui concerne notre région, ajoutons avec Mgr Dehaisnes, l'éminent archiviste
déjà cité, que dans ce pays de la bourgeoisie qu'était la Flandre, les
nobles avaient toujours été peu nombreux et peu influents (Bulletin du
comité flamand, tome 6 page 235). - D'ailleurs, et bien que cette observation
ne s'applique pas expressément à la famille de Montmorency, il est juste de
dire qu'il existait une noblesse de campagne qui , sans argent et quelquefois
sans instruction, vivait sans influence politique ; mais il ne faut pas en
conclure qu'elle était sans influence sociale car, souvent les nobles
campagnards passant leur existence au milieu des paysans, compatissant à
leurs peines et à leurs fatigues, partageant souvent leur pauvreté,
retiraient de cette vie commune un profit bien naturel de considération et
d'autorité (cf. Vente des B. N., Perrin, 1908 . Amédée Vialey, Paris).
|
Un exemple de cet
attachement est celui des Vendéens à leurs nobles terriens pendant la
Révolution.
Nous résumerons,
souvent sous la forme chronologique, faute d'éléments plus explicites, les
différents événements qui jalonnent l'ère féodale et qui se rapportent à
notre histoire, suivant en cela M. Arnould Detournay, le très réputé
antiquaire, qui résida longtemps à Estaires.
1024. - Le cartulaire
de Saint-Waast d'Arras cite toujours Estaires, Sailly, Fleurbaix, Laventie comme
dépendant de l'abbaye. - Par contre Armentières n'y figure plus, sans doute
a-t-elle été cédée aux seigneurs séculiers.
1213. - Bauduin,
seigneur d'Estaires, épouse Catherine, fille de Gauthier de Courtray,
chambellan de la comtesse de Flandre.
1226. - Michel de
Harnes fonde la chapelle de Doulieu. Vers cette époque, le comté de Harnes
cesse de faire partie de l'Artois pour entrer dans la circonscription de
Doulieu, paroisse d'Estaires.
1228. - Jean, seigneur
du Berquin, prisonnier aux Croisades et racheté des mains des infidèles par
les religieux Trinitaires, donne à ceux-ci la chapelle de la Covorde à
Estaires.
1235. - Jean, dit le
Fosseux, seigneur d'Estaires, épouse Ermendrade, sa cousine, fille de Philippe
d'Aire.
1303. - Philippe,
seigneur d'Haverskerque, d'Estaires, de La Motte-au-Bois et de La Gorgue,
épouse Adèle, fille de Charles maréchal héréditaire de France.
La même année, Jean,
frère du seigneur d'Estaires est fait abbé de Clairvaux et, à ce titre,
reçoit des donations de Robert de Béthune.
1320. - Estaires, sa
forteresse et la forêt de Nieppe avec le pays jusqu'à la mer sont donnés à
Robert, seigneur de Cassel et de Warneton, 2è fils de Robert de Béthune, comte
de Flandre.
1328. - Louis, comte de
Flandre, confirme les libertés de la ville d'Estaires.
1336. - Philippe,
seigneur d'Estaires, épouse Marie, dame de Cléri-sur-Somme. Hugues, son
frère, était abbé de Bourghelles. - Jean de Ghistelles, son grand-oncle, est
tué à Crécy (1346).
1347. - Les Flamands
soumettent le pays d'Alleu, c'est-à-dire la région environnant la Lys,
assiègent Béthune et brûlent Estaires.
1355. - Renaud,
seigneur d'Estaires et de Neuf-Berquin, épouse Aloïde, fille de Robert d'Espierres.
Il vend à Louis de Mâle La Motte, La Gorgue, et tout ce qui en dépend.
1357. - Jean, seigneur
d'Estaires, épouse Marie de Moliens ou de Malines. Il est tué dans une
bataille et enterré avec sa femme dans l'église d'Estaires, où il a fondé
une messe tous les vendredis.
1379. - Jean, seigneur
d'Estaires, est fait chevalier à la défense d'Audenaerde contre les Gantois.
1383. - Estaires est
incendiée par les Anglais (guerre de Cent Ans.) Les Anglais étant alliés aux
d'Astevelle et aux Flamands, tandis qu'Estaires et son seigneur d'Haverskerque
étaient restés soumis au roi de France.
1387. - Yolande de
Flandre, comtesse de Bar et dame de Cassel, princesse qui fut toute sa vie
" besoigneuse " est tellement à court d'argent que ses créanciers,
des usuriers lombards, la firent enfermer à Tournai, cède à Henri d'Antoing
(près de Tournai), chevalier, la seigneurie du Pont d'Estaires, en échange de
200 livres de rente sur la forêt de Nieppe.
1403. - Henri d'Antoing,
devenu seigneur d'Estaires, a deux filles ; Marie, l'aînée, épouse Engelbert
d'Enghien et, à la mort de son père, devient dame d'Estaires. Sa sœur,
Marguerite, épouse Jean de Stavèle.
1403. - Estaires est de
nouveau incendiée.
Marie d'Antoing, dame
d'Estaires, restaure l'hôpital. Elle et son mari, Engelbert d'Enghien, peuvent
être considérés comme les grands bienfaiteurs de leurs sujets d'Estaires, en
raison des donations qu'ils ont faites pour l'assistance aux malheureux.
1426. - Le pape Martin
V accorde des indulgences pour ceux qui soutiennent la léproserie d'Estaires. -
Nous reviendrons sur ce Sujet lorsque nous aurons à traiter de la "
Maladrerie d'Estaires ".
1431. - Charles
Charpentier est curé d'Estaires. - Les curés de cette ville étaient chanoines
réguliers de l'abbaye de Chocques : ils le seront jusqu'à la Révolution.
1436. - Engelbert
d'Enghien, et Marie, sa femme, dame d'Estaires, déjà cités, fondent la
chapelle du Château d'Estaires. -
Simon, prêtre du
diocèse de Cambrai, en devient le premier chapelain avec 43 livres 15 sols de
gros, selon les intentions de Henri et de Marie de Cléri.
A vrai dire, il semble
que vers cette époque encore, le centre de la cité était bien le Pont
d'Estaires, où se trouvait précisément le château du seigneur avant Anne de
Pallant.
Le 15 juillet de la
même année, la ville d'Estaires s'accroît de la seigneurie du Neuf-Berquin (Zuut-Berquin
en flamand).
A ce sujet, il est à
noter qu'Estaires fut toujours considérée, même lorsqu'elle était du ressort
de la châtellenie de Cassel, comme faisant partie de la Flandre, tout au moins
en ce qui concerne la portion située sur la rive gauche de la Lys. Cependant la
langue flamande n'y fut jamais d'un usage courant, sauf dans une de ses
dépendances primitives " Zuut-Berquin ".
Néanmoins, l'auteur se
rappelle que tout enfant, on rencontrait encore à Estaires quelques vieilles
personnes qui faisaient usage de la langue flamande (1880), sans doute était-ce
des personnes flamingantes implantées à Estaires.
1460. - Des religieuses
du tiers-ordre de saint François viennent de Bailleul à Estaires pour diriger
l'hôpital destiné à recueillir les malades et les pauvres pèlerins. Nous
leur consacrons plus loin un article spécial.
1474. - Estaires est à
nouveau brûlée, cette fois, semble-t-il, accidentellement " grand feu de
méchef ", disent les archives.
A cette époque, la
ville renfermait 874 métiers de tisserands. A la suite de cet incendie, il
n'est pas resté une seule maison dans la ville, dont toutes les chartes furent
la proie des flammes.
La ville était
d'ailleurs constituée par des maisons en bois ou en paillis disposées dans des
rues très étroites, ce qui facilitait la propagation du feu.
1482. - Jean, seigneur
d'Estaires et de Glajon, épouse Barbe de Mony, issue des de Béthune. - Vers
cette époque Marie d'Enghien, étant morte sans postérité, son neveu Josse de
Stavèle, fils de Jean et de Marguerite d'Antoing, devient seigneur d'Estaires
et épouse Jeanne de Berlaymont, dame de Glajon ou Glageon.
LA DOMINATION ESPAGNOLE
Pendant plus d'un
siècle et demi, soit de 1526 à 1679, Estaires fut occupée par les Espagnols.
Contrairement à ce qui est généralement admis, le régime espagnol n'a guère
eu d'action profonde dans le pays. Certes, le pouvoir central était exercé
nominalement par la nation occupante, mais comme, en définitive,
l'administration était, en fait, entre les mains des nobles, des notables et
bourgeois du pays, on peut dire que la Flandre a réussi à conserver ses
propres coutumes et même qu'elle parvint à exercer son influence sur
l'occupant lui-même, dont les garnisons étaient d'ailleurs peu nombreuses et
intermittentes.
Cette influence
flamande est si vraie que Charles-Quint, le premier prince espagnol qui a
gouverné les Pays-Bas, était né à Gand ; il aimait la Flandre et se plaisait
à parler flamand, et lorsque, âgé de 16 ans, il quitta Bruxelles pour prendre
possession de la couronne de Castille, il ne savait dire un mot en espagnol,
quoiqu'il le comprît un peu.
Durant les 2 années
qu'il passa ensuite en Espagne, il donna toute sa confiance et tout le pouvoir
aux Flamands qu'il avait emmenés avec lui (cf. Mgr Dehaines, archiviste du
dép. du Nord).
Cette opinion n'est
d'ailleurs que la confirmation de celle de l'historien flamand Meteren, qui,
dans son Histoire d'Estaires, dit que " les habitants de cette ville sont
gens pieux et anciens chrétiens de sorte que difficilement peuvent-ils
embrasser les superstitions espagnoles. C'est un peuple qui aime la liberté.
".
1497. - Lettres de
Philippe, duc de Bourgogne, autorisant Estaires à mettre sur ses rôles
d'impositions les fiefs revendiqués par le Neuf-Berquin.
1511. - Naissance de
Philippe de Stavèle.
1515. - Confirmation
des marchés et de la foire d'Estaires, suivant ordonnance de Charles-Quint
autorisant, en outre, le rétablissement des fabriques de drap.
Le 11 juin de la même
année, Charles-Quint, en son conseil à Bruxelles, autorise l'établissement de
droits d'octroi dans la ville d'Estaires, pour la réparation des chaussées.
1528. - Instructions données pour le
commerce et la fabrication des draps.
1531. - Charles-Quint
est reçu à Estaires par 2000 hommes en armes.
1531. - Philippe, baron
de Chaumont et seigneur de Glageon, succède à son oncle Jean de Stavèle, mort
le 10 avril, et enterré dans le chœur de l'église d'Estaires. Il épouse Anne
de Pallant, dame du Pont d'Estaires, comtesse d'Herlies. Après avoir fait
campagne à Tunis, Alger, en Italie, en Allemagne et en Hongrie sous
Charles-Quint et Philippe II, il fut nommé membre du Grand Conseil, grand
maître de l'Artillerie et chevalier de la Toison d'or (1559). Il mourut le 26
décembre 1563 et fut enterré dans l'église d'Estaires.
1553. - 25 juin. Thérouanne, siège de
l'évêché, est rasée par Charles-Quint.
Vers 1553. -
Charles-Quint passe au Pont d'Estaires. La ville avait été prise par les
Espagnols en 1548, et la Flandre, Estaires exceptée, ne redevint française
qu'après la bataille de Lens (1648) sous Louis XIV, victoire gagnée par le
grand Condé et qui amena le traité de Westphalie.
1563. - Mort de
Philippe de Stavèle.
1565. - Une grande
famine désole le pays en raison de la pénurie et de la cherté des grains. La
commune en achète à Gand pour les revendre à moindre prix.
1566. - Pour la
première fois, dans un acte officiel, la rue des Ribaudes est nommée. Il est
fâcheux que cette rue, successivement nommée depuis : rue des Jardins, rue des
Écoles puis rue Jules Ferry ait perdu son appellation primitive qui avait au
moins le mérite d'une origine historique ancienne et un goût de terroir
prononcé !
Évidemment et comme le
lecteur en a d'ailleurs jugé par lui-même, pour les historiographes de ces
temps l'histoire s'identifiait le plus souvent avec les seuls événements
survenus dans les familles royales ou princières, et passait facilement sous
silence tous renseignements susceptibles de jeter quelque clarté sur les
conditions de vie du petit peuple et même de la bourgeoisie. C'est donc sous
cette réserve que nous sommes réduit à nous en tenir à cette sèche
énumération.
LA REFORME. - LA RÉVOLTE
DES GUEUX.
Le sentiment religieux
catholique était et est encore intense dans le pays de Flandre et d'Artois.
Aussi les nouvelles théories ou conceptions, philosophico-religieuses chères
à Luther et à Calvin n'y trouvèrent pas un terrain propice à leur
propagande. Tout au plus peut-on dire qu'à de rares exceptions près, la
Réforme ne laissa que bien peu de traces dans ces pays très attachés à leurs
croyances et à la foi de leurs ancêtres.
Néanmoins, vers l'an
1566, une révolte violente, qui avait ses racines et ses causes plus dans la
politique que dans la religion, secoua les Pays-Bas et les territoires
avoisinants. Ce fut la " Révolte des Gueux ", du nom qu'avaient pris
eux-mêmes les insurgés, dont le centre était à Bruxelles et le chef le comte
d'Egmont. - Pour se reconnaître, les Gueux, même gentilshommes affiliés à
leur mouvement, avaient pour emblème une besace et une écuelle en bois.
A la vérité, sous le
couvert du protestantisme, ce fut plutôt une insurrection contre la domination
espagnole, qui n'était cependant qu'à ses débuts.
La région de Bailleul,
Le Doulieu, Estaires, Lestrem et Merville, pour ne parler que des localités
françaises, fut dévastée par ces hordes, dont beaucoup d'adeptes venaient de
Belgique et qui comptaient toute la lie des mécontents, des bandits de droit
commun, très heureux de se faire la main par leurs pillages sous le
pseudo-prétexte de patriotisme et de réforme religieuse.
Les Gueux, organisés
en bandes redoutables, armés de bâtons, de haches et de marteaux, se
répandent dans les villages, escaladant les couvents et les églises, brisant
les statues, dépouillant les autels des vases sacrés et parfois incendiant les
immeubles, s'attaquant même aux personnes, ainsi qu'il fut fait au curé de La
Ventie, qui n'échappa que par miracle à la torture et à la mort.
Nous devons à un de
nos concitoyens, religieux trappiste au Mont des Cats, dom Eugène Arnould, la
relation des excès commis par les Gueux dans ces parages, d'après les
documents recueillis par son père, M. Arnould-Detournay, que nous avons déjà
cité et dont le beau-père était précisément M. Detournay, maire de notre
ville sous la Restauration : nous en parlerons plus loin.
Laissons donc la parole
ou la plume à Dom Eugène du Mont des Cats (Souvenirs du pays d'Estaires,
Taffin-Lefort, Lille, 1902) :
Il
est juste de dire que ces forcenés (les Gueux) trouvaient aide et
protection parmi les seigneurs de Flandre et d'Artois qui fréquentaient
les prêches protestants et soutenaient ouvertement les Gueux en raison
des profits qu'ils tiraient de leurs pillages.
De ce nombre était Jean le Sauvage, seigneur d'Escobecques et de Ligny
(près de Beaucamps) ; Philippe, seigneur de Bailleul, Jean d'Estourmel,
seigneur de Vendeville, dont le château du Doulieu était la citadelle
calviniste du pays ; Jacques de Rosambos, parent de l'abbesse de
Beaupré, et enfin Henri de Nédonchel, fameux sous le nom d'Hannecamp.
A Estaires, la société des Arbalétriers se composait presque
exclusivement de calvinistes, dont Mathieu Chavatte, roi de la
Confrérie. Le mot d'ordre avait été donné pour détruire en même
temps, le 15 août 1566, fête de Notre-Dame, toutes les églises de
l'Alleu et des environs.
Ce jour-là, il y eut deux prêches protestants sur le marché
d'Estaires un en français, l'autre en flamand par le prédicant de
Bailleul.
Le Seigneur de Vendeville y assistait, entouré de la compagnie des
arbalétriers, et enrôlait des hommes d'armes sur l'ordre du prince
hollandais de Nassau.
Après ces furibondes prédications, les sectaires se portent en masse
sur l'église d'Estaires, où Le Josne, hôtelier de la taverne des
trois rois, apporte des tonneaux de bière pour rafraîchir les
pillards.
Verrières, statues, autels, crucifix, tout est brisé.
Les mêmes scènes se produisent à La Gorgue, Lestrem, Merville.
L'abbaye de Beaupré échappe de près à un sac en règle. Les
cérémonies religieuses sont tournées en dérision et font l'objet de
parodies grossières. |
A noter que si dans une
région aussi profondément religieuse la révolte eut une si virulente
importance, cela est dû à ce que dans presque toutes les localités, et
notamment à Estaires, les magistrats, baillis, prévosts, échevins, etc.
avaient fait cause commune avec les révoltés en haine du clergé, dont ils
convoitaient des biens, symptômes avant-coureurs de la grande Révolution.
S'il faut en croire la
petite histoire c'est de cette époque troublée que date le sobriquet "
baudets d'Estaires " (Honni soit qui mal y pense !) que l'on accole parfois
avec humour aux habitants de cette ville, reconnus cependant comme
particulièrement attachés aux principes d'ordre et de religion et qui ne le
cèdent en rien au point de vue du bon sens pratique à leurs voisins des
communes environnantes.
En effet, les
énergumènes dont nous parlons plus haut et dont la majorité était
étrangère au pays auraient, dans une parodie sacrilège de procession,
promené un authentique Aliboron sous le dais réservé à la Fête-Dieu.
Les Estairois ne sont
guère offusqués de cette boutade plus ou moins historique, puisque chaque
année, à la fête du pays, un monumental Aliboron, en carton-pâte celui-là,
parcourt les rues de leur ville pour la plus grande joie des enfants, à qui il
distribue ses " faveurs ", et de, nombreux visiteurs des communes
voisines. Celles-ci ne sont d'ailleurs pas mieux partagées.
Ainsi, à Merville, les
Gueux auraient enfermé un chat dans le tabernacle de l'église, d'où le
sobriquet de " Caouts " (chat) que l'on attribue parfois aux
habitants. De même à La Gorgue, où ces forcenés auraient rendu à un "
magot " (bouc) les honneurs semblables à ceux dispensés au baudet
d'Estaires.
Passons sur ces
turpitudes qui, si elles sont vraies, prouvent que même parmi les peuples les
plus pacifiques et les plus religieux, comme c'était le cas ici, quelques
violents, par leur audace et leurs cruautés, parviennent souvent à s'imposer
à des populations entières.
Naturellement, la
réaction espagnole ne se fit pas attendre, et le duc d'Albe, gouverneur des
Pays-Bas, qui en fut chargé, n'y alla point de main morte : le comte d'Egmont
fut décapité.
Dans l'ensemble
cependant, et pour nous en tenir à notre contrée, et compte tenu des mœurs du
temps, les peines capitales furent rares. En ce qui concerne Estaires, Charles
Le Josne, fils de l'hôtelier des trois rois, coupable de plusieurs méfaits et
de crimes commis dans les parages de l'abbaye de Beaupré, en 1566, au moment de
la révolte des Gueux, fut condamné le 25 juillet 1568 par le Conseil des
Troubles à avoir la tête tranchée.
D'autres, dont nous ne
publierons pas les noms, dont certains sont encore portés de nos jours, furent
bannis à perpétuité.
Ainsi se termina, en ce
qui regarde la région de l'Alleu, ce que l'on a coutume d'appeler sous le nom
plus générique de guerres de religion.
Toutefois avant de
clore ce chapitre sur la Réforme et le Protestantisme dans le pays, et par
anticipation sur l'ordre chronologique que nous nous sommes imposé autant que
possible, nous dirons un mot sur une affaire connue sous le nom Les Benants
de Doulieu-Estaires.
En septembre 1710,
l'abbé Goulliart, curé d'Estaires, eut à se plaindre auprès des autorités
administratives du scandale provoqué dans sa paroisse par la famille Benant, du
Doulieu, dont les membres, nés dans la religion catholique, avaient apostasié
publiquement et professaient les doctrines de la Réforme en se livrant à une
active propagande, allant jusqu'à héberger des prédicants calvinistes et
même à insulter le curé chez lui.
Les autorités
administratives, saisies de ces faits, se récusèrent, déclarant que les
griefs du curé étaient justiciables des autorités religieuses, de sorte
qu'après une longue discussion dilatoire entre elles, qui se rejetaient l'une
sur l'autre la compétence en la matière, les Benants, sommés de comparaître
devant Mgr de Valbelle, évêque de Saint-Omer, dont relevait alors Estaires,
refusèrent de répondre à ses monitions et, le 6 juillet 1711, furent
excommuniés.
A l'époque,
l'excommunication était une sanction des plus graves, car elle avait pour
résultat de mettre au ban de la société ceux qu'elle frappait. Aucun
commerce, aucune relation de quelque nature qu'ils fussent ne devaient avoir
lieu avec les excommuniés, et cette règle était suivie dans toute sa rigueur.
C'est ce qu'il advint pour la famille Benant.
C'est ce
qu'exprime M. le duc DE LEVIS-MIREPOIS, de l'Académie Française, dans son
livre Philippe IV le Bel (Éd. de France, 1935, p. 83) lorsqu'il écrit :
L'interdit n'était pas au Moyen-Age une vaine formule. Il faisait le désert
autour des personnes et des cités qu'il frappait. En outre étaient nuls tous
les actes, contrats, testaments passés pendant la durée de
l'excommunication. Voilà une occasion de remarquer une fois de plus combien
le spirituel et le temporel pouvaient se trouver mêlés en ce temps.. |