L'Occupation
Nous arrivons maintenant à la période la plus
triste de notre histoire locale, celle de l'Occupation allemande de
mai 40 à septembre 45, soit plus de 5 années.
Les ponts sur la Lys avaient été détruits : pour aller au Nouveau Monde, il
fallait prendre une passerelle qui enjambait la Lys entre les bureaux de
chez Madeleine et l'usine Lefranc. On atteignait ainsi le chemin de halage, côté
La Gorgue. Au Pont de la Meuse, là aussi une passerelle avec des escaliers, pour permettre
le passage des péniches, partait de la rue du Caméo et débouchait rue de la
Perche. Quant au Pont de la Lys, il ne fut pas remplacé dans l'immédiat.
Lors de l'offensive allemande, beaucoup de nos concitoyens
s'étaient enfuis devant l'envahisseur et il restait peu de monde à Estaires.
Les magasins avaient été pillés par des personnes
passant à Estaires et même par certains qui n'avaient pas évacué. Beaucoup de
commerçants avaient fui également. Il ne restait plus pour Estaires et la Gorgue
qu'une boulangerie, la Boulangerie Coopérative située Quai du Rivage et c'est
mon père qui en était responsable avec comme apprenti boulanger, Gaston Fiévet.
Comme il manquait de la farine, avec l'accord des mairies, il
se rendit chez les boulangers évacués pour y récupérer la farine qui pouvait
leur rester. C'est ainsi que ça se passa pendant plusieurs mois. Ensuite, la
minoterie Hennion de Merville reprit de l'activité et put fournir la Coop en
farine.
La Résistance
A travers toute la France, se créèrent des groupes de
résistants. Ici, à Estaires, il y avait des F.T.P. (Francs Tireurs et
Partisans), le M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale),
l'O.C.M. (L'Organisation Civile et Militaire). Ces
groupes avaient des ramifications à travers tout le secteur et effectuaient
des sabotages comme la coupure des fils téléphoniques, le déraillement de
trains ...
Les Allemands occupaient le champ d'aviation de Merville et
construisaient une rampe de lancement de V1 en forêt de Nieppe. Ils n'hésitaient
pas à placer des civils sur une plateforme devant les locomotives pour qu'ils
soient les premières victimes en cas de déboulonnage des voies. Le 28 décembre 41, il y eut, entre Laventie et la Gorgue, une terrible
catastrophe ferroviaire qui fit plus de 70 victimes. Deux trains bondés de
voyageurs se télescopèrent sur cette voie unique alors qu'ils devaient se
croiser en gare de Laventie. Il y avait eu une erreur humaine de la part du
chef
de gare de Laventie qui avait laissé partir son train avant l'arrivée de celui
qui venait de La Gorgue.
Pour nous empêcher d'écouter la radio anglaise BBC, les
Allemands avaient obligé les possesseurs de postes de les déposer en mairie.
Certains, par crainte de représailles, le firent mais d'autres refusèrent. Ils
cachèrent leur poste et ne l'écoutaient qu'en sourdine de peur qu'on ne l'entende
pas de l'extérieur. Nous devions être méfiants de tout car certains
Français collaboraient avec les Allemands dans un but intéressé et n'hésitaient
pas à dénoncer voisin ou ami à la Gestapo.
Rationnement et marché noir
C'était la pénurie sur tout. Nous étions rationnés sur la
nourriture, l'habillement, le chauffage ... Rouler en voiture était un luxe.
L'essence se faisait rare et nombreuses furent les voitures qui durent
s'équiper de gazogènes et rouler au charbon de bois.
Chaque mois, nous devions aller en mairie, à la salle de
ravitaillement que dirigeait M. ... pour obtenir nos tickets de rationnement
pour le mois à venir. Nous avions droit à 100g de viande par semaine, 300g de
pain par jour, un paquet de cigarettes pour 10 jours ... Tout était rationné : quand un jeune couple se mariait, il percevait des bons
pour s'acheter des draps, du linge de corps, du linge de toilette ...
Inutile de dire qu'il se fit un trafic de troc que l'on appela
"Marché Noir". C'est ainsi que nous vîmes des colonnes de gens venant de la
région minière tirant une petite charrette remplie de gaillettes de charbon
qu'ils avaient glanées sur les terrils. Ils se rendaient dans les fermes pour échanger leur charbon contre des pommes de
terre, du beurre ou, parfois, un morceau de lard. Tout ce qui était mangeable
était l'objet d'échange.
Nous qui habitions en zone rurale, nous pouvions encore, en
cachette élever des lapins ou quelques poules ce qui nous permettait d'améliorer
l'ordinaire.
Comme nous étions rationnés sur le pain, nous nous
débrouillions pour avoir du blé. Nous l'écrasions avec des moulins de fortune et
tamisions la farine pour faire des galettes à laquelle nous ajoutions de la
purée de pommes de terre. Un vrai régal. Nous ne laissions rien perdre, même le son du blé était utilisé !
Les fumeurs ne percevaient du tabac que par décades.
Certains faisaient sécher des feuilles de betteraves ou d'haricots. D'autres
qui avaient un bout de jardin plantaient des pieds de tabac en cachette
parmi leurs légumes. Les plus débrouillards s'étaient construit une machine
à hacher le tabac qu'ils se passaient l'un à l'autre selon les besoins.
Les civils réquisitionnés
Les Allemands avaient réquisitionné le Collège Sacré-Cœur
pour en faire un casernement et c'étaient des civils, surtout des femmes,
qu'ils prenaient pour faire leur popote et leur
ménage.
Des chômeurs avaient également été réquisitionnés pour
travailler au champ d'aviation de Merville. Avec eux, deux fois par semaine et à
tour de rôle, les fermiers devaient aller avec chevaux et chariots. Ils étaient
chargés de réparer les pistes, reboucher les trous de bombe suite aux
bombardements des Anglais. C'est ainsi qu'un jeudi matin, alors qu'ils étaient
au travail, les bombardiers anglais vinrent y lâcher leurs bombes. Ce fut, parmi
ces gens, un vrai carnage qui fit plus de 100 victimes.
Le patriotisme des Estairois
Je ne voudrais pas être sans parler du rôle joué par certains
employés vis à vis des Résistants. Lorsque la Gestapo se présentait en mairie à
la recherche de tel ou tel, ils les faisaient patienter et en douce faisaient
avertir l'intéressé de disparaître dans la nature. Ce fut mon cas, étant
recherché par les Allemands, j'ai pu ainsi me cacher plusieurs années dans une
ferme.
De même il faut mentionner l'élan de générosité pour nos
concitoyens prisonniers en Allemagne. Un comité s'était constitué pour organiser
des soirées, des bals, des loteries dont le bénéfice permettait d'envoyer des
colis à nos soldats bien démunis.
La Libération
C'est le 5 septembre 44 que nous vîmes arriver les
troupes libératrices. Quelques jours auparavant, nous assistions, impassibles, à la débâcle
allemande. En groupes ou seuls, ils se dirigeaient vers la frontière belge, les
uns sur des vélos d'emprunt avec tout leur barda, d'autres, à pied, tirant une
remorque où ils avaient entassé tout ce qu'ils pouvaient emporter, les plus
chanceux à moto ou en voiture.
Ce n'était plus les soldats arrogants que nous avions connus,
qui nous narguaient et se croyaient les maîtres du Monde.
A Estaires, ce furent les Anglais que nous
libérèrent. La veille,
j'étais allé à leur rencontre, vers La Bassée, pour leur indiquer ce qu'il y
avait encore, à Estaires, comme résistance allemande : des chars étaient postés
au Pont d'Estaires et une batterie de 75 était installée dans la pâture Sence,
rue de Merville et tenait ainsi sous son feu tout ce qui passait vers le Pont de la Lys.
Nous habitions alors une petite maison au Drumetz à La Gorgue
et, à notre réveil, nous eûmes la surprise de découvrir des soldats qui se
reposaient sur le trottoir. Grande fut notre joie !
C'est ce jour-là que nous vîmes fleurir les F.F.I. Tout le monde
avait fait de la résistance, même les collaborateurs. Tous portaient un brassard
au bras. Seuls les vrais résistants restaient dans l'ombre.
On ne peut, non plus, être sans évoquer l'attitude de
certaines femmes qui s'étaient laissé un peu trop courtiser par les Allemands. Dans
les jours qui suivirent la Libération, quelques-unes furent emmenées par des F.F.I. sur
la Grand Place et eurent les cheveux tondus. Il faut dire aussi que certains
en profitèrent pour assouvir une vengeance personnelle.
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Estaires était libérée mais il faudra encore
attendre 8 mois pour voir le retour de nos prisonniers.
M. Auguste Watine était maire
d'Estaires depuis 1914. Il avait eu la tâche difficile de
diriger et d'aider ses concitoyens au cours des 2 guerres
mondiales.
Suite à son décès, en 1944, les Allemands
empêchant toute élection municipale, il fut créé une
Délégation Municipale. Elle groupait des hommes ayant une
certaine responsabilité devant la population et qui
éventuellement seraient pris en otages en cas d'agression contre
l'armée allemande.
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Cette délégation désigna M. César Cuvelier comme maire
d'Estaires. Celui-ci était sous-lieutenant des sapeurs-pompiers et tenait un
magasin d'horlogerie, place St Vaast. Il assura ses fonctions jusqu'en 1947, date
de son décès.
Pendant l'Occupation, la Délégation Municipale ne
put se charger que de l'expédition des affaires courantes mais dès la
Libération, elle
s'occupa de réorganiser la vie locale, de faire rouvrir les magasins
...
La vie reprenait ...
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