La guerre 39-45 vécue par les Estairois

D'après Eugène Delanghe


L'Occupation

La Résistance

Rationnement
et Marché Noir

Les civils réquisitionnés

Le patriotisme des Estairois

La Libération

Pendant la "Drôle de guerre", rien de marquant ne se passe  à Estaires.

Mais en mai 1940, lors de l'offensive allemande sur les fronts belge et hollandais, Estaires est bombardée à plusieurs reprises.

Les dégâts sont importants, particulièrement rue du Général de Gaulle où de nombreuses maisons devront être rasées.

L'église est atteinte mais la mairie est épargnée.


L'Occupation

Nous arrivons maintenant à la période la plus triste de notre histoire locale, celle de l'Occupation allemande de mai 40 à septembre 45, soit plus de 5 années.

Les ponts sur la Lys avaient été détruits : pour aller au Nouveau Monde, il fallait prendre une passerelle qui enjambait la Lys  entre les bureaux de chez Madeleine et l'usine Lefranc. On atteignait ainsi le chemin de halage, côté La Gorgue.
Au Pont de la Meuse, là aussi une passerelle avec des escaliers, pour permettre le passage des péniches,  partait de la rue du Caméo et débouchait rue de la Perche.
Quant au Pont de la Lys, il ne fut pas remplacé dans l'immédiat.

Lors de l'offensive allemande, beaucoup de nos concitoyens s'étaient enfuis devant l'envahisseur et il restait peu de monde à Estaires.

Les magasins avaient été pillés par des personnes passant à Estaires et même par certains qui n'avaient pas évacué. Beaucoup de commerçants avaient fui également. Il ne restait plus pour Estaires et la Gorgue qu'une boulangerie, la Boulangerie Coopérative située Quai du Rivage et c'est mon père qui en était responsable avec comme apprenti boulanger, Gaston Fiévet.

Comme il manquait de la farine, avec l'accord des mairies, il se rendit chez les boulangers évacués pour y récupérer la farine qui pouvait leur rester. C'est ainsi que ça se passa pendant plusieurs mois. Ensuite, la minoterie Hennion de Merville reprit de l'activité et put fournir la Coop en farine.

La Résistance

A travers toute la France, se créèrent des groupes de résistants. Ici, à Estaires, il y avait des F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans), le M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale), l'O.C.M. (L'Organisation Civile et Militaire). Ces groupes avaient des ramifications à travers tout le secteur et effectuaient des sabotages comme la coupure des fils téléphoniques, le déraillement de trains ...

Les Allemands occupaient le champ d'aviation de Merville et construisaient une rampe de lancement de V1 en forêt de Nieppe. Ils n'hésitaient pas à placer des civils sur une plateforme devant les locomotives pour qu'ils soient les premières victimes en cas de déboulonnage des voies.

Le 28 décembre 41, il y eut, entre Laventie et la Gorgue, une terrible catastrophe ferroviaire qui fit plus de 70 victimes. Deux trains bondés de voyageurs se télescopèrent sur cette voie unique alors qu'ils devaient se croiser en gare de Laventie. Il y avait eu une erreur humaine de la part du chef de gare de Laventie qui avait laissé partir son train avant l'arrivée de celui qui venait de La Gorgue.

Pour nous empêcher d'écouter la radio anglaise BBC, les Allemands avaient obligé les possesseurs de postes de les déposer en mairie. Certains, par crainte de représailles, le firent mais d'autres refusèrent. Ils cachèrent leur poste et ne l'écoutaient qu'en sourdine de peur qu'on ne l'entende pas de l'extérieur.

Nous devions être méfiants de tout car certains Français collaboraient avec les Allemands dans un but intéressé et n'hésitaient pas à dénoncer voisin ou ami à la Gestapo.

Rationnement et marché noir

C'était la pénurie sur tout. Nous étions rationnés sur la nourriture, l'habillement, le chauffage ... Rouler en voiture était un luxe. L'essence se faisait rare et  nombreuses furent les voitures qui durent s'équiper de gazogènes et rouler au charbon de bois.

Chaque mois, nous devions aller en mairie, à la salle de ravitaillement que dirigeait M. ... pour obtenir nos tickets de rationnement pour le mois à venir. Nous avions droit à 100g de viande par semaine, 300g de pain par jour, un paquet de cigarettes pour 10 jours ...
Tout était rationné : quand un jeune couple se mariait, il percevait des bons pour s'acheter des draps, du linge de corps, du linge de toilette ...

Inutile de dire qu'il se fit un trafic de troc que l'on appela "Marché Noir". C'est ainsi que nous vîmes des colonnes de gens venant de la région minière tirant une petite charrette remplie de gaillettes de charbon qu'ils avaient glanées sur les terrils.
Ils se rendaient dans les fermes pour échanger leur charbon contre des pommes de terre, du beurre ou, parfois, un morceau de lard. Tout ce qui était mangeable était l'objet d'échange.

Nous qui habitions en zone rurale, nous pouvions encore, en cachette élever des lapins ou quelques poules ce qui nous permettait d'améliorer l'ordinaire.

Comme nous étions rationnés sur le pain, nous nous débrouillions pour avoir du blé. Nous l'écrasions avec des moulins de fortune et tamisions la farine pour faire des galettes à laquelle nous ajoutions de la purée de pommes de terre. Un vrai régal.
Nous ne laissions rien perdre, même le son du blé était utilisé !

Les fumeurs ne percevaient du tabac que par décades. Certains faisaient sécher des feuilles de betteraves ou d'haricots. D'autres qui avaient un bout de jardin plantaient des pieds de tabac en cachette parmi leurs légumes. Les plus débrouillards s'étaient construit une machine à hacher le tabac qu'ils se passaient l'un à l'autre selon les besoins.

Les civils réquisitionnés

Les Allemands avaient réquisitionné le Collège Sacré-Cœur pour en faire un casernement et c'étaient des civils, surtout des femmes,  qu'ils prenaient pour faire leur popote et leur ménage.

Des chômeurs avaient également été réquisitionnés pour travailler au champ d'aviation de Merville. Avec eux, deux fois par semaine et à tour de rôle, les fermiers devaient aller avec chevaux et chariots. Ils étaient chargés de réparer les pistes, reboucher les trous de bombe suite aux bombardements des Anglais. C'est ainsi qu'un jeudi matin, alors qu'ils étaient au travail, les bombardiers anglais vinrent y lâcher leurs bombes. Ce fut, parmi ces gens, un vrai carnage qui fit plus de 100 victimes.

Le patriotisme des Estairois

Je ne voudrais pas être sans parler du rôle joué par certains employés vis à vis des Résistants. Lorsque la Gestapo se présentait en mairie à la recherche de tel ou tel, ils les faisaient patienter et en douce faisaient avertir l'intéressé de disparaître dans la nature. Ce fut mon cas, étant recherché par les Allemands, j'ai pu ainsi me cacher plusieurs années dans une ferme.

De même il faut mentionner l'élan de générosité pour nos concitoyens prisonniers en Allemagne. Un comité s'était constitué pour organiser des soirées, des bals, des loteries dont le bénéfice permettait d'envoyer des colis à nos soldats bien démunis.

La Libération

C'est le 5 septembre 44 que nous vîmes arriver les troupes libératrices.
Quelques jours auparavant, nous assistions, impassibles, à la débâcle  allemande. En groupes ou seuls, ils se dirigeaient vers la frontière belge, les uns sur des vélos d'emprunt avec tout leur barda, d'autres, à pied, tirant une remorque où ils avaient entassé tout ce qu'ils pouvaient emporter, les plus chanceux à moto ou en voiture.

Ce n'était plus les soldats arrogants que nous avions connus, qui nous narguaient et se croyaient les maîtres du Monde.

A Estaires, ce furent les Anglais que nous libérèrent. La veille, j'étais allé à leur rencontre, vers La Bassée, pour leur indiquer ce qu'il y avait encore, à Estaires, comme résistance allemande : des chars étaient postés au Pont d'Estaires et une batterie de 75 était installée dans la pâture Sence, rue de Merville et tenait ainsi sous son feu tout ce qui passait vers le Pont de la Lys.

Nous habitions alors une petite maison au Drumetz à La Gorgue et, à notre réveil, nous eûmes la surprise de découvrir des soldats qui se reposaient sur le trottoir. Grande fut notre joie !

C'est ce jour-là que nous vîmes fleurir les F.F.I. Tout le monde avait fait de la résistance, même les collaborateurs. Tous portaient un brassard au bras. Seuls les vrais résistants restaient dans l'ombre.

On ne peut, non plus, être sans évoquer l'attitude de certaines femmes qui s'étaient laissé un peu trop courtiser par les Allemands. Dans les jours qui suivirent la Libération, quelques-unes furent emmenées par des F.F.I. sur la Grand Place et eurent les cheveux tondus. Il faut dire aussi que certains en profitèrent pour assouvir une vengeance personnelle.

 

Estaires était libérée mais il faudra encore attendre 8 mois pour voir le retour de nos prisonniers.

 

M. Auguste Watine était maire d'Estaires depuis 1914. Il avait eu la tâche difficile de diriger et d'aider ses concitoyens au cours des 2 guerres mondiales.

Suite à son décès, en 1944, les Allemands empêchant toute élection municipale, il fut créé une Délégation Municipale. Elle groupait des hommes ayant une certaine responsabilité devant la population et qui éventuellement seraient pris en otages en cas d'agression contre l'armée allemande.

 

Cette délégation désigna M. César Cuvelier comme maire d'Estaires. Celui-ci était sous-lieutenant des sapeurs-pompiers et tenait un magasin d'horlogerie, place St Vaast. Il assura ses fonctions jusqu'en 1947, date de son décès.

Pendant l'Occupation, la Délégation Municipale  ne put se charger que de l'expédition des affaires courantes mais dès la Libération, elle s'occupa de réorganiser la vie locale, de faire rouvrir les magasins ... 

La vie reprenait ...