BULLETIN
PAROISSIAL
D'ESTAIRES
(Nord)
N° 4 - Octobre 1918
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VOIX
DE L'EXIL
Nos
familles dispersées attendent avec anxiété des renseignements
officiels sur l'état de la ville et de la campagne d'Estaires.
M. Auguste Wattine, faisant fonctions de Maire, a eu
la délicate attention de nous écrire, au retour du douloureux pèlerinage
qu'il a pu faire, le mardi 17 septembre, aux ruines de notre malheureuse
Cité. La lecture de cette lettre sera pour tous une grande peine : nous
croyons cependant de voir la publier toute entière.
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La situation de notre Commune se résume en un mot : DESTRUCTION ! ,
DESTRUCTION TOTALE, ABSOLUE !
On dirait un vaste dépôt chaotique de démolitions.
L'œil
s'habitue difficilement à cet aspect navrant : les distances sont
raccourcies et, sans quelques points de repère, tels que la pompe de la
Place, un bout d'inscription ..., il serait impossible de retrouver
l'emplacement même de nos maisons.
Les
rues sont encombrées de briques et de pierres; des équipes de soldats
travailleurs déblaient les routes, tracent les chemins ... Je ne vous détaillerai
pas l'aspect de chaque quartier : TOUT EST DÉTRUIT !
Une
remarque générale qui prouve la barbarie de nos ennemis : la Ville a
été l'objet d'un incendie systématique. Beaucoup de maisons ont été
brûlées après avoir été totalement vidées de leur contenu; les
boches les ont arrosées de goudron liquide, puis y ont mis le feu....
Çà et là quelques coffres-forts qu'ils n'ont pu emporter..."
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La Mairie a été brûlée et détruite par les obus.
De
l'Église, il ne reste plus pierre sur pierre ; les magnifiques colonnes
de grès qu'on aurait cru devoir résister aux pires coups de la
barbarie, sont déchiquetées, réduites en miettes. La tour set un
informe tas de briques, de pierres tassées et pulvérisées; seule la
statue de la Ste-Vierge est intacte au-dessus de son autel détruit...
Quel spectacle navrant que celui de ce lieu de prière d'où tant de
supplications sont montées vers le ciel ! Quel serrement de cœur en présence
d'un tel désastre !
Le
Presbytère tient encore debout, mais le mur de façade est tombé ;
tout l'intérieur se présente à découvert quand on se trouve sur le
rivage. Toutes les maisons d'œuvre sont détruites : hospice, ouvroir,
écoles, maisons de la rue Jeanne d'Arc, St-Joseph; seul le St-Louis a
été un peu épargné. Le Collège n'existe plus, ni les bâtiments
communaux, ni la nouvelle construction surmon,tée de la statue du Sacré-Cœur.
Le Château d'eau gît lamentablement dans l'herbe : les machines sont détruites,
les forages défoncés.
J'ai
parcouru la campagne : beaucoup de fermes sont in,cendiées,
quelques-unes pourront être réparées... Mais les terres en général
sont indemnes : il n'y a pas de nouvelles tranchées, et, dès
maintenant, nous pouvons envisager le retour à la terre de nos chers
cultivateurs. Eux seuls pourront d'abord prendre le chemin de retour. Dès
maintenant, ils peuvent demander les autorisations à la sous-préfecture
d'Hazebrouck; et aussitôt que leur sécurité sera assurée, ils
pourront aller travailler au relèvement de notre chère commune.
Agréez,
cher monsieur le Curé, mes sentiments de profonde sympathie, avivée
encore par le communauté de nos douleurs. "
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Personne
ne lira cette lettre sans une profonde émotion : de notre Église où
étaient accumulés tant de trésors, où chacun se sentait porté au
recueillement et à la prière par la majesté et le sérieux d'une
magnifique ornementation, et par cette douce lumière tamisée à
travers nos superbes vitraux; de la Mairie que les siècles avaient
respectée; du Collège et de nos écoles où tant de générations s'étaient
formées; de l'Hospice, des Patronages, de l'Orphelinat, de l'Ouvroir,
asiles des vieillards, des orphelins et des faibles; de la plupart de
nos maisons, sanctuaires vénérées de la famille... de tout cela,
presque rien ne reste debout...
Pourrons-nous assez pleurer sur tant de ruines ? Et pourtant, est-ce la fin
d'Estaires ?
Nous
entendons d'élever de tous les cœurs une protestation : Non,
ESTAIRES NE PERIRA PAS ! Ce que les barbares ont détruit dans
leur haine sauvage, nous et nos fils, nous le relèverons avec une persévérance
qu'aucune difficulté ne lassera ...
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Les
cultivateurs seront appelés à cette oeuvre de résurrection. Nous
connaissons leur courage et leur intelligence : bientôt la campagne, si
belle encore, il y a six mois, retrouvera sa prodigieuse fécondité. Et
puis viendront tous les autres, selon le cours des événements, et dans
un ordre qu'il ne nous appartient pas d'établir.
Mais
il est bon de le prévoir: pour un grand nombre, les jours de l'exil
seront un peu prolongés.... Que nul courage ne fléchisse .... Offrons
à Dieu le mérite de ce nouveau sacrifice pour la conversion et le
triomphe de la France et la prompte restauration de notre chère Cité.
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